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Audrey Abadie, ancienne ouvreuse des Bleues : "le rugby féminin, c'est un esprit familial"

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À quelques jours de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande, France Bleu Occitanie met en avant toute la semaine le rugby féminin. Audrey Abadie, actuelle demie d'ouverture de Blagnac a connu le Mondial 2017. Celle qui fut une des cadres des Bleues se confie.

Audrey Abadie avec les Bleues en mars 2017 durant le Tournoi des Six Nations. Audrey Abadie avec les Bleues en mars 2017 durant le Tournoi des Six Nations.
Audrey Abadie avec les Bleues en mars 2017 durant le Tournoi des Six Nations. © AFP - MIGUEL MEDINA

C'est une femme très active de 30 ans, en tenue de sport que nous rencontrons. Audrey Abadie est joueuse, entraineuse et éducatrice spécialisée. L'ouvreuse de Blagnac, formée en Bigorre, a connu les faveurs nationales de 2015 à 2020. Avant d'encadrer les U18 de l'Équipe de France dont elle entraine les trois quarts. En 2017, à la Coupe du monde en Irlande, les Françaises terminent troisièmes. Une trentaine de sélections plus tard, elle pose son regard sur la compétition mondiale qui débutera le 8 octobre en Nouvelle-Zélande, et les chances des Tricolores dont neuf Blagnacaises et cinq Toulousaines.

Vous qui avez connu l'intensité d'une Coupe du monde, c'est comment les tous derniers jours avant le début ?

Ce sont les meilleurs moments parce qu'on a cravaché pendant plusieurs mois sur de la préparation physique intense, des repères collectifs. Donc là, d'être sur les lieux, découvrir les terrains, l'environnement, elles doivent se régaler. Un peu d'appréhension j'imagine, mais surtout de l'excitation et elles sont assez bien entourées pour ne pas tomber dans du stress négatif qui les perturberait.

Elles sont au pays du rugby. Elles ne sont pas favorites. Peut-il se passer quelque chose, une alchimie positive ?

Complètement ! Partir favori n'est jamais très bon et ce n'est pas français ! Mais être outsider au pays du rugby, ça ne peut être que positif et je pense que ça va les piquer un peu aussi. Et elles n'ont pas forcément fait de bons résultats sur leur tournée avant de partir. Donc elles auront à cœur de prouver leur existence au pays du rugby.  

Vous les connaissez bien, comment se sentent-elles ?

Je ne vous cache pas qu'elles ramassent vraiment du décalage horaire (+11h) ! Mais elles sont hyper excitées. J'ai surtout des nouvelles des jeunes et de Marjorie Mayans. Elles sont prêtes dans leur tête, j'espère qu'elles seront toutes câblées au bon moment pour le 8 octobre, faire un beau résultat contre l'Afrique du Sud.  

"Les choses évoluent doucement dans le rugby féminin concernant l'argent. C'est bien comme ça aussi, l'argent pourrait tuer l'esprit familial qui existe."

Elles ne sont pas favorites, qu'est-ce qu'on peut espérer pour elles ?

Ça reste des matchs du rugby. Donc c'est bien beau sur le papier de faire des théories, mais sur un match, tout peut se passer. Elles sortiront de la poule j'en suis sûre, et après c'est au mental. Tout peut arriver, j'en suis persuadée. Il vaut mieux perdre face aux Anglaises en match de poule (deuxième match des Françaises, le 15 octobre, ndlr) et les gagner en demi-finale ou en finale. Tout peut arriver.

Le rugby féminin commence à remplir les stades mais n'a pas encore explosé. Qu'est-ce qu'il manque ? Une ligne au palmarès des Bleues ?

Oui, déjà 2014 avait été un beau tremplin pour le rugby féminin français (demi-finale perdue contre les Canadiennes). Ensuite 2017, on était troisième, on monte de marche en marche. C'est clair que si elles parviennent à faire un beau résultat en Nouvelle-Zélande, le rugby féminin prendra plus d'ampleur encore. Il faut attirer les médias, l'attrait des chaines télé, et ça passe par les résultats. 

Et puis un résultat au niveau national aura peut-être une incidence sur la considération financière des joueuses qui en club ne sont pas professionnelles : elles ne touchent pas de salaire, pour quatre entrainements par semaine après le travail ou les études. L'exception, c'est la trentaine de filles de l'équipe de France qui sont rémunérées par la Fédération française de rugby. Mais 30 ou 35 filles payées pour jouer au rugby parmi toutes celles qui jouent en club, c'est dérisoire. Les clubs font des efforts pour donner des petites primes, mais on est loin très loin de ce qu'ont les garçons, même si l'écart se réduit. On voit par exemple des filles avoir des contrats publicitaires. Mais gardons le pieds sur terre : l'argent ne fait pas le bonheur et pourrait tuer les valeurs du rugby féminin telles qu'elles existent aujourd'hui.

Le jeu des filles a aussi bien évolué. Certains sont parfois surpris par la technicité, cela vous agace ?

Oui, il reste encore des stéréotypes difficiles à effacer. Là encore, plus on gagnera en technique, en belles passes, et plus on sera médiatisées.

Audrey Abadie à gauche cet été, pour saluer le départ de Manon André, une autre icône blagnacaise.
Audrey Abadie à gauche cet été, pour saluer le départ de Manon André, une autre icône blagnacaise. - Blagnac Rugby

Dans le groupe du XV de France pendant cette Coupe du monde, il y a neuf Blagnacaises sur trente-deux joueuses. Comment vous l'expliquez ? 

J'ai envie de dire que Blagnac vit bien (rires). Il y a un gros travail qui a été fait sur la formation ces dernières années, c'est en train de payer. Geoffrey Slimane aussi a fait un gros travail de détection des pépites. Après, à Blagnac, on est un peu malchanceuses en championnat, on perd en demi-finale ou en finale depuis quelques années. Mais je pense que ça montre à quel point la formation de Blagnac, et le travail qui a été fait, est bien fait. Donc ça se répercute sur l'Équipe de France. J'ai une pensée aussi pour les quatre autres Blagnacaises qui avaient été présélectionnées et qui ne sont pas parties. 

"À Blagnac, on n'a pas beaucoup d'argent, mais on est un peu comme une famille."

Est-ce à dire désormais que les jeunes joueuses de la région ont plus intérêt à jouer à Blagnac qu'au Stade Toulousain ?

Non, on ne peut pas dire ça parce que le Stade Toulousain a remporté le dernier titre de champion de France chez les filles. Après c'est assez personnel, moi en tant que joueuse, je me retrouve plus dans Blagnac. On représente un peu le côté "famille" du rugby et du rugby "à l'ancienne". Il n'y a pas d'énormes rentrées d'argent, mais on vit bien, on est content d'être ensemble. Mais ça dépend de ce que les filles recherchent, leur état d'esprit. Il faut contenter tout le monde, et je ne dirais pas que Blagnac est mieux que le Stade Toulousain. Peut-être y-a-t-il eu un temps de rivalités, mais maintenant on est toutes copines en dehors ; il y a des affinités et il n'y a pas de guéguerre de clochers entre les deux clubs. On va pas se crever les pneus à la fin d'un match ! En plus, les entraineurs et les directeurs sportifs sont copains.

"Pas d'énormes rentrées d'argent" vous dîtes à Blagnac, mais vous avez quand même un actionnaire, Frédéric Michalak ?

Oui, il faut faire vivre les filles en Elite 1 et les garçons en National, c'est des gros budgets. Et puis nos partenaires et nos sponsors nous apportent du confort. Les spectateurs aussi, ce n'est plus "Papa et Maman" qui remplissent les tribunes, il y a le monsieur qui aura vu l'affiche au marché de Blagnac et qui viendra par curiosité aussi. Blagnac grandit doucement par rapport au Stade Toulousain avec leur grosse écurie en Top 14. Les fonds ne sont pas les mêmes. Après, il nous faut continuer à exister par notre formation, par nos résultats en Elite1 et en espoirs. On a atteint un certain niveau. Il faut qu'on le perpétue et qu'on garde ce même état d'esprit et cette même volonté d'amener Blagnac au plus haut.  

À Blagnac, vous avez aussi des jeunes comme Lina Queyroi (21 ans) ou Melissande Llorens (20 ans) en ce moment au Mondial. Vous les avez vu grandir ?

Oui, "Méli" est arrivée en cadette. Et j'ai une tendresse particulière pour ma "petite pouliche" Lina qui a le même poste que moi et avec qui on est souvent comparées. Je suis très fière de la voir à ce niveau là, ça annonce des belles choses. Cette nouvelle génération a connu très tôt les sélections, que ce soit avec les moins de 18 ans et les moins de 20. Mais elles sont formatées au haut niveau, et je pense qu'elles sont plus préparées que nous à notre époque quand on démarrait en équipe de France.

  • Premier match des Bleues dans ce Mondial : France / Afrique du Sud samedi 8 octobre à 03h15 heure française.

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